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    Georges Bataille, Les Larmes d'Eros, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1961

     

    (...) Les oeuvres d'Albert Dürer, de Lucas Cranach ou de Baldung Grien répondent encore à cette incertitude du jour. De ce fait, leur valeur érotique est en quelque sorte poignante. Elle ne s'affirmait pas dans un monde ouvert à la facilité. Il s'agit de lueurs vacillantes, et même, à la rigueur, fiévreuses. Il est vrai, les grands chapeaux des dames nues de Cranach répondent à l'obsession de provoquer. Aujourd'hui, notre légerté est grande, et nous pourrions être tenté d'en rire... Mais nous devons accorder plus qu'un sentiment amusé à l'homme qui représentat une longue scie découpant, à partir de l'entrejambe, un supplicié nu, pendu par les pieds...

    Dès l'abord à l'entrée de ce monde d'un érotisme lointain, souvent brutal, nous nous trouvons devant l'horrible accord de l'érotisme et du sadisme.

    L'érotisme et le sadisme d'Albert Dürer ne sont guère moins liés dans ses oeuvres que dans celles de Cranach ou de Baldung Grien. Mais c'est à la mort - à l'image d'une mort toute-puissante, qui nous terrifie, mais nous entraîne dans le sens de l'enchantement lourd d'effroi de la sorcellerie, c'est à la mort, à la pourriture de la mort, ce n'est pas à la douleur, que Baldung Grien lia l'attrait de l'érotisme. Un peu plus tard, ces associations disparaîtront : le Maniérisme en libéra le peinture ! Mais c'est au XVIIIe siècle seulement que se fit jour l'érotisme, sûr de lui, l'érotisme libertin.

     


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    Souvenir, Marcel Proust

     

    (...) Ils prenaient leurs repas dans une chambre spéciale et je ne pouvais les voir. Une seule fois je vis disparaître, en une fuite de ligne d'une telle expression spirituelle, d'une distinction si unique qu'elle reste pour moi une des plus hautes révélations de la beauté, une femme grande, la face détournée, la taille insaisissable dans un long manteau de laine brune et rose. Quelques jours après montant un escalier assez éloigné du corridor mystérieux, je sentis une faible odeur délicieuse, certainement la même que la première fois. Je me dirigeai vers le corridor et arrivé presque en face de la chambre je fus assourdi par la violence des parfums qui tonnaient comme des orgues avec un mesurable accroissement d'intensité de minute en minute. La chambre démeublée apparaissait comme éventrée par la porte grande ouverte. Une vingtaine de petites fioles brisées gisaient à terre et des taches humides souillaient le parquet. (...)


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    Traduire Jérôme

     

    Les représentations de Saint Jérôme se résument à deux situations spatiales très spécifiques qui s'opposent totalement. Le saint est représenté soit à genoux dans un très large paysage déserté, ou il est figuré à sa table de travail dans un cabinet habité d'objets d'esprits. 

    Jérôme entretient une relation avec la nature, dans une position d'exclusion du monde et de retranchement au sein des richesses offertes par le paysage. Les représentations sont d'ailleurs prétextes à représenter des zones paysagères extraordinaires, irréalistes, qui deviennent des morceaux de peinture en elles-mêmes. D'une manière allégorique c'est la relation de l'homme à son environnement qui est mesurée dans ce premier exemple de représentation. La situation narrative de ces scènes permet de condenser des stratifications sémantiques complexes, et permet de quetionner le sublime en peinture dès le XVe siècle ; le saint se frappant le torse avec une pierre, acte douloureux, trouvant son écho dans le réseau d'arbres, de troncs, de branches, de feuillage, de brindilles...

     

    Jérôme entretient une relation avec les livres et en particulier avec le Livre : la Bible dont il est le traducteur. L'insertion du saint dans son cabinet, second thème iconographique attché à son histoire, permet de pronlonger les idées développées pour le cadre naturel. Par opposition, il s'agit ici de créer une relation entre un personnage et un espace suffisant à condenser les idées, l'esprit, l'intelligence. Ce n'est plus le rapport à la Nature qui est mesuré, mais celui au savoir, à la Connaissance. Les deux thème sont ainsi complémentaires et prennent une dimension emblématique, comme si St Jérôme permettait de concilier deux attitudes fondamentales de l'homme : la relation à la nature et le rapport à la construction artificielle du savoir. Mais les deux attitudes se rejoignent par le caractère d'enfermement qu'elles nécessitent. Enfermement par l'éloignement et la fuite dans des zones désertées, ou enferment de l'espace fermé du cabinet, coupé du monde réel.

     

    St Jérôme condense deux attitudes face au monde. Il traduit grâce à l'étude, le livre de référence pour l'Europe occidentale et s'impose ainsi comme la patron des traducteurs. Mais traduire ne signifie pas dans son premier sens passer d'une langue à une autre. Le terme est avant tout judiciaire et est resté dans l'expression "traduire en justice". Il s'agit d'une présentation, d'un déplacement, d'un translation d'un état à un autre. De la vie quotidienne à un espace avant tout symbolique aui permet de rendre la justice. La traduction est donc largement attachée à la question de la projection ou du déplacement d'un élément connu et lisible, à un point isolé dans un cadre artificiel qui doit permettre de faire surgir le plus juste. Le phénomène de la traduction littéraire, étudié par Valéry Larbaud dans son ouvrage sur St Jérôme, renvoi directement à la traduction judiciaire du XVe siècle. Comme le prévenu qui est translaté d'une situation de liberté à celle d'une mise en scène devant lui infliger un traitement juste par rapport à sa situation, le texte qui a une présence en soi dans une langue ou dans un type de langage, est "traduit en lettres" dans un lieu de mise en scène qu'est le cabinet, qui permet de déterminer le justesse du nouveau texte. La traduction est toujours un nouvel état et ne correspond pas à sa référence. Elle est une véritable création appuyée sur une référence antérieure.

    Gwilherm Perthuis

     

     

    Cf Valéry Larbaud, Sous l'invocation de Saint Jérôme, Paris, Gallimard, 1997 (1ère édition 1946)

     

     


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