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Artaud - Théâtre
Antonin Artaud, "Le théâtre et la peste", Le théâtre est son double, Paris, Gallimard, 1964
Les archives de la petite ville de Cagliari, en Sardaigne, contiennent la relation d'un fait historique et étonnant.
Une nuit de fin avril ou du début de mai 1720, vingt jours environ avant l'arrivée à Marseille du vaisseau le Grand-Saint-Antoine, dont le débarquement coïncida avec la plus merveilleuse explosion de peste qui ait fait bourgeonner les mémoires de la cité, Saint-Rémys, vice-roi de Sardaigne, que ses responsabilités réduites de monarque avaient peut-être sensibilisé aux virus les plus prenicieux, eut un rêve particulièrement affligeant : il se vit pesteux et il vit la peste ravager son minuscule Etat.
Sous l'action du fléau, les cadres de la société se liquéfient. L'ordre tombe. Il assiste à toutes les déroutes de la morale, à toutes les débâcles de la psychologie, il entend en lui le murmure de ses humeurs, déchirées, en pleine défaite, et qui, dans une vertigineuse déperdition de matière, deviennent lourdes et se métamorphosent peu à peu en charbon. Est-il donc trop tard pour conjurer le fléau ? Même détruit, même annihilé et pulvérisé organiquement, et brûlé dans les moelles, il sait qu'on ne meurt pas dans les rêves, que la volonté y joue jusqu'à l'absurde, jusqu'à la négation du possible, jusqu'à une sorte de transmutation du mensonge dont on refait de la vérité. (...)
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